Le fantasme des emplois non pourvus
Les chiffres et les mots vivent une époque formidable : on leur fait dire ce qu’on veut. Récemment, un site d’offres d’emploi, autoproclamé « leader de son domaine », décoche, au détour d’une récente interview, un chiffre pharaonique : 900 000 emplois seraient « difficiles à pourvoir » ! La petite nuance entre « non pourvu » et « difficile à pourvoir » échappant à nombre de lecteurs, on en vient donc à estimer que près d’un million de postes ne trouveraient pas candidat adéquat. De quoi montrer du doigt des chômeurs incapables et fainéants …
En fait, il semble, d’après nos recherches, que ce « très grand » site d’offres d’emploi fonde son affirmation sur un chiffre publié en septembre 2013 par le très sérieux Conseil d’Orientation pour l’emploi, qui estime, par « extrapolations » successives, à 820 000 les « emplois à pourvoir à un moment donné ». Précisant en gros, gras et encadré : « ATTENTION : ces extrapolations ne concernent pas les emplois difficiles à pourvoir, mais le nombre d’emplois disponibles à un moment donné sur l’ensemble du marché du travail ». Mais bon, à quoi bon s’encombrer de toutes ces petites nuances … Ce sujet des emplois soit disant non-pourvus revient comme une litanie, depuis 2008 et les 500 000 emplois vacants proclamés par le président, sans aucune source étayée. Depuis, la bataille de chiffres fantasmatiques n’a jamais cessé. En mai dernier, le Medef a fait campagne sur les « 400 000 emplois non pourvus ». En septembre, le ministre du Travail, François Rebsamen, relançait le sujet avec l’annonce de 350 000 postes vacants. Medef, gouvernements successifs, sociétés privées aux intérêts évidents … jouent ainsi à coups de chiffres avec les nerfs des demandeurs d’emploi. Un jeu d’autant plus facile qu’il n’existe aucune méthode scientifique permettant d’évaluer, sinon de mesurer … le vide.
Car de quoi parle-t-on au juste ? De postes vacants n’ayant jamais trouvé candidat ? De besoins de compétences non exprimés par les entreprises ? D’annonces recherchant des moutons à 5 pattes ? Ou d’offres d’emploi « bidons » comme celles de certaines sociétés de services informatiques qui les utilisent pour « écouter le marché » ? Ou bien encore du fameux « marché caché », tellement caché que personne ne l’a jamais vu ? Ou bien tout simplement d’offres d’emploi en cours de traitement ?
Le débat pourrait prêter à sourire si plus de 3,5 millions de Français n’étaient en recherche d’emploi. Mais la vérité est beaucoup plus simple et ne se mesure pas : les entreprises aimeraient recruter davantage et les chômeurs aimeraient travailler. Le reste n’est que fantasme.