Il y a 15 ans, le coup de massue de Moulinex

Enquête

« Notre première réaction a été l’incrédulité, se souvient Pierre Pavis, alors premier adjoint du maire François Doubin. La direction avait annoncé un projet de développement quatre ans plus tôt avec des emplois à la clé. » Créée en 1958, l’usine est historiquement la deuxième du groupe. Les indicateurs économiques sont bons, il n’y a pas de problème de gestion et le site tourne bien.

Pourtant, « les délégués syndicaux n’étaient pas dupes, raconte Marie-Gisèle Chevalier, embauchée en 1968 et élue CFDT au comité central d’établissement. Des bruits couraient depuis quelques mois que des choses étaient en train de se faire. Mais personne ne pouvait croire que notre unité serait touchée. »

Le couperet tombe cependant. « Et là, vous vous sentez seuls, confie Marie-Gisèle, dite Zouzou. On se rend compte que les autres sites ne nous aideront pas. Chacun sauve sa peau. » Il va falloir se battre et être « suffisamment charismatique pour porter tout le monde ».

Des drames humains

En colère, la municipalité tente de plaider auprès de la direction de Moulinex et du préfet. « Mais contrairement à ce qu’on croit, les élus n’ont pas tant de pouvoirs dans la stratégie financière des entreprises, se désole Pierre Pavis. Le groupe n’avait pas de politique économique, tout simplement. Il a fallu se rendre à l’évidence, la bataille était perdue. »

Le personnel est composé à 70 % de femmes, souvent seules avec des enfants à charge. « L’usine, ce n’était pas le bagne, sourit Marie-Gisèle. On a bien rigolé ensemble, pour certaines pendant plus de trente ans. On se connaissait tous, alors on savait qui retrouverait du travail ou pas. Qui allait avoir la force de rebondir et qui ne l’aurait pas. »

La CFDT et la CGT ne sont pas d’accord sur les actions à mener, mais un travail d’accompagnement individuel se met en place. Il faut maintenant limiter la casse et étudier les possibilités de mutations. « Il restait à panser les plaies, soupire Pierre Pavis. Pour que les choses se passent le moins mal possible. » Garder un salaire, coûte que coûte. « On a toujours essayé de regarder dans le pare-brise et non dans le rétroviseur », insiste Zouzou, de tous les combats.
 

Un avenir sombre

Cent cinq personnes sont reclassées dans les sites les plus proches. Bayeux inspire confiance : l’usine est neuve. L’unité fermera pourtant ses portes cinq ans plus tard. Les plus âgés bénéficient de l’ACA (allocation aux chômeurs âgés), d’autres empochent l’indemnité de licenciement et chercheront un autre avenir.

Des dispositions financières sont mises en place pour inciter les entreprises locales à se moderniser et à embaucher. « Un échec de 3 millions de francs: une vingtaine de personnes seulement a trouvé un emploi », se désole la syndicaliste.

Huit mois après la fermeture, la CFDT avance le chiffre de 55 personnes au chômage. Il ne sera pas facile de retrouver un travail. La ville entre dans une période noire, avec la liquidation successive de ses plus grosses entreprises.